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L'expulsion des Juifs de France en 1306

Ecrit par Gabriel Blokor, enseignant - Conte d'Éliahou Hillel

Philippe le Bel (1268-1314), dit « le roi de fer », doit son surnom à un certain nombre de mesures sévères qui visaient notamment à rétablir les finances du royaume (ce qui le conduisit à l’émission de monnaie d’or) et à centraliser l’ÉtatIl orchestra le procès des Templiers, ce qui exacerba les vives tensions existant entre la papauté et le royaume de France. Ce règne marque à cet égard une franche évolution dans les relations avec le Saint-Siège, qui reprochait notamment au monarque d’imposer les biens de l’Église. Philippe fut couronné à 17 ans et régna sur une France dont la population était la plus importante de la chrétienté. Sous son règne, le royaume fut élargi et augmenta son influence européenne.  

La pratique juive du prêt à intérêt (usure) avait déjà officiellement justifié des expulsionsen France ou ailleurs, souvent motivées, en réalité, par la nécessité de renflouer les caisses du royaume. Seize ans avant la décision de Philippe, Édouard Ier,roi d’Angleterre, avait promulgué un avis d’expulsion. Un an avant, Charles II d’Anjou, cousin de Philippe, avait quant à lui expulsé 1000 Juifs de ses comtés.

Les Juifs avaient alors en France le statut d’étrangers résidant avec une permission royale spéciale. L’avis d’expulsion générale et définitive émis en 1306 avait été précédé par l’expulsion des Juifs du Poitou et des Juifs anglais réfugiés à Carcassonne.  Ces opérations, à l’occasion desquelles les biens juifs (immeubles, meubles, bijoux et argent) furent confisqués, furenfinancièrement rentables.

L’avis général de 1306 aurait touché 100 000 âmes. Il eut ceci d’inédit d’être définitif. Les arrestations commencèrent en juin et durèrent plusieurs mois. Leur but était de procéder à un interrogatoire permettant l’inventaire précis des biens possédés. La délation fut encouragée pour compléter ces informations. Les biens furent vendus aux enchères entre août et septembre. La saisie des prêts permit au roi de devenir le créancier de ses sujets.

La conversion permettait d’échapper à l’expulsion, mais peu empruntèrent cette voie.Le document même de l’édit a été perdu mais les connaissances historiques concernant cet épisode sont relativement précises. Avant comme pendant l’édit de 1306, la« question juive » fut toujours l’occasion pour Philippe d’exprimer son autorité sur les seigneurs  en revendiquant son droit sur les Juifs que ces derniers « possédaient » ,sur ses rivaux – en s’opposant au roi d’Angleterre et en empêchant la confiscation des biens des Juifs de Saintonge et de l’Agenais , et sur l’Église, qui s’était octroyé la juridiction sur les Juifs. Son intérêt financier dans les mesures antijuives futconséquent mais il est probable que l’enjeu politique (rapports de force avec les seigneurs et le pape) ait eu son importance, peut-être même davantage que la dimension économique qui était, sous couvert de pieuses décisions, le véritable motif des expulsions préalables à celle de 1306.



La téchouva de Philippe IV Israël le Bel

Un conte d’Éliahou Hillel

Été 1290. Les Juifs de France sont inquiets. Les nouvelles qui leur parviennent d’Angleterre sont alarmantes : le roi Edouard Ier qui, dès son accession au trône en 1272, avait fait arrêter et enfermer 600 Juifs dans la Tour de Londres puis ordonné la pendaison de 270 d’entre eux avec confiscation de leurs biens, a décrété, le 18 juillet 1290 (9 du mois d’Av dans le calendrier hébraïque), jour même de la commémoration des destructions du premier et du deuxième Temples de Jérusalem, l’expulsion de tous les Juifs du royaume.

Or, les Juifs d’Angleterre sont un peu les cousins germains des Juifs de Normandie. On dénombre rapidement plus de 16 000 expulsés. Les Juifs de France commencent à se demander si un sort semblable ne les attend pas. Les dirigeants juifs, prudents, font passer des consignes. Les familles doivent se préparer au pire et prévoir des balluchons. Il faut aussi trouver des cachettes pour leurs biens précieux. Pendant seize ans, les Juifs de France vont vivre dans la peur du lendemain.

En juin 1306, les choses se précipitent. Des Juifs haut placés découvrent que des lettres royales sont sur le point de partir en direction des autorités visant à emprisonner les Juifs de France, à saisir tous leurs biens et à les expulser.

Nul doute que le roi de France, Philippe IV dit le Bel, fera comme Edouard Ier et choisira cette même date anniversaire qui, en cette année 1306, tombe le 22 juillet. Chaque famille se réunit et envisage des terres de repli : régions frontalières du royaume, Catalogne, Aragon, Navarre, Bourgogne, Savoie ou, plus loin, Croatie et même terre d’Israël.

 

Nuit du 21 juillet 1306. Très excité, le roi ne parvient pas à dormir. Quand il s’assoupit, c’est pour faire des cauchemars. Des voix résonnent : « Honte à toi, roi maudit ! Tu veux t’en prendre à un peuple béni par Dieu ! Tu vas le payer cher ! » Ou encore : « Renonce à ton funeste projet ou tu le paieras cher ! Oublies-tu que Jésus, notre seigneur, était juif ? »

Au matin du 22 juillet, le roi, en sueur, convoque son chambellan :

Prépare-moi une tisane et va mander le chef des Juifs, Salomon Ben Nassi. Vite ! 

Surpris, le chambellan ne put que s’exécuter tout en marmonnant : 

Le chef des Juifs ici, à la cour !

Une heure plus tard, Salomon se présenta. Le pire était à craindre. Contre toute attente, le roi se montra prévenant, affectueux même :

Une tisane, Salomon ? 

Avec plaisir, Majesté. Je suis très honoré.

Salomon, je n’irai pas par quatre chemins. L’expulsion des Juifs de France est prévue pour aujourd’hui même.

Je sais, hélas, mais votre volonté est au-dessus de tout. Soyez clément, Majesté, dans votre application de cette décision funeste pour nous.

Eh bien, Salomon, j’ai décidé de tout annuler !

Nous restons, alors ? Quelle joie ! 

Oui, j’ai fait un rêve qui m’a décidé et je veux te faire part d’une décision importante.

Baroukh Hachem. Que Dieu préserve.

J’ai décidé de devenir juif !

Vous, juif, Majesté ? Cela demande beaucoup de préparation. Même pour un roi.

Je suis prêt à tout. Mais, tout d’abord, je veux prendre un prénom juif. Que me suggères-tu ? 

Salomon Ben Nassi était abasourdi. Il aurait dit n’importe quoi.

Que pensez-vous de Haï ? 

Haï ? C’est quoi ?

Cela veut dire « vivant ». C’est beau, non ? 

N’importe quoi ! Salomon, tout le monde comprendra « Haï »du verbe haïret comme je ne suis pas très aimé… Non pas de « Haï ».

Et Benyamine, alors ? 

- Qu’est-ce ?

« Benjamin »

Benjamin ! Quelle folie, Salomon, je suis l’aîné de ma famille. Benjamin, cela me rapetisserait.

Je viens d’avoir une idée : Moché.

C’est-à-dire ?

C’est Moïse, en hébreu.

Moché ? Mais à l’accent aigu près, ça fait « moche ». C’est nul, Salomon ! 

La discussion dura des heures. Le chambellan se présenta plusieurs fois pour obtenir la signature de l’édit royal portant sur l’expulsion des Juifs.

Soudain, le roi s’écria : 

J’ai trouvé. Je serai Israël. Philippe Israël Le Bel. C’est décidé.

On annonça à travers le royaume l’annulation de l’expulsion et la conversion du roi au judaïsme. Un temps abasourdie, la population finit par se faire à cette situation invraisemblable : un roi juif pour la France. Le clergé, lui, fit le gros dos. Très vite, de nombreuses conversions s’opérèrent. La téchouva du roi eut des aspects très positifs et la communauté juive, qui atteignit bientôt 200 000 membres, connut plus d’un siècle de bonheur et de tranquillité. Mais les autorités ecclésiastiques demeuraient en embuscade dans l’attente d’un retournement…

 



Publié le 27/11/2019


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