De manière sporadique, des Juifs sont présents à Tahiti depuis plusieurs siècles. C'est ainsi qu'une famille juive anglaise, les Salmon, apparentée au grand rabbin de Londres, s'est installée sur l'île. Hasard ou ironie de l'histoire, un fils de la famille, Alexander, s'éprend de la princesse Arrioehau et veut l'épouser. Mais la loi coutumière ne permet pas de telles unions exogamiques. C'est grâce à l'intervention de la reine Pomaré IV que le mariage a finalement lieu. On raconte que la propre fille de ce couple inattendu contractera à son tour un mariage princier.
Une lignée royale à demi-juive fait ainsi souche. D'autres Juifs, venus d'Europe, par la suite et au fil des ans, épousent des Tahitiennes. Ce qui fait que, de nos jours, on trouve, sur les annuaires locaux, des Cohen, des Lévi ou encore des Yéroushalmi, qui ne sont pas juifs au regard de la halakha et qui, physiquement, ne se distinguent en rien de la majorité des Tahitiens. Mais c'est avec l'accession des pays d'Afrique du Nord à l'indépendance que Tahiti va voir une véritable communauté juive prendre naissance et se développer. Venus d'Algérie, du Maroc et de Tunisie, des jeunes Juifs, parfois déçus par un premier séjour en France métropolitaine, viennent tenter l'aventure tahitienne. Ils n'ont souvent pour tout bagage que quelques centaines de francs, une valise et une idée géniale : les trousseaux. Nous sommes dans les années 1960. Les « trousseautiers » juifs sillonnent l'île de long en large pendant des années, vendant à tempérament tout et n'importe quoi : linge de table et de maison, batteries de cuisine, électroménager, de l'utilitaire aux colifichets. Et ça marche ! Des fortunes se bâtissent.
Peu à peu, les marchands ambulants se sédentarisent, ouvrent des commerces en ville et ont désormais pignon sur rue. Certains commencent à ressentir le besoin de mettre sur pied une structure communautaire juive, ce qui est vu d'un très bon œil par les descendants de la reine Pomaré et autres Cohen tahitiens.
Le coup de pouce décisif va leur être donné par un couple de Juifs égyptiens, Lucien et Jeannette Pérez, qui débarquent sur l'île en 1982. Militaire de carrière, le lieutenant-colonel Lucien Pérez a été nommé juge d'instruction auprès du tribunal militaire de Papeete. Croyant non orthodoxe, Lucien Pérez dispose d'un diplôme de « cho’het ». Le voilà promu tout à la fois rabbin, sacrificateur rituel et guide spirituel d'une communauté en gestation. Jeannette Perez devient la « rabbine ».
On organise les fêtes juives traditionnelles : Roch Hachana, Kippour, Souccot, Pessa’h... De Paris, sont rapportés deux sifré Tora. Un riche Judéo-Tahitien, M. Cohen-Solal, met sa villa à la disposition de la communauté. Pour la première fois dans l'île, le kol nidré est entonné et le son du chofar retentit. Une cohorte bigarrée de Juifs halakhiques, de demi-Juifs, de quarts de Juifs, de Juifs de nom et de Juifs de cœur. Jeannette Pérez tient table ouverte chez elle et, le chabbat, plusieurs dizaines de personnes sont invitées à partager le pain, le vin et le repas dans une belle ambiance juive. En novembre 1982, une association au nom pour le moins original est constituée : l'ACISPO, Association culturelle des Israélites et sympathisants de Polynésie. Elle se donne pour mission l'organisation de conférences, d'offices religieux et la régulation de la cacherout. Plus tard, un local est trouvé qui fera office de synagogue et de centre communautaire. Malgré le retour en France métropolitaine des Pérez, la graine était semée. Une synagogue plus officielle, « Haava vé Ahava » a été ouverte à Papeete, rue Morenhout, en 1993. Elle dispose d'un mikvé (bain rituel) et propose un Talmud Tora le dimanche matin. Longtemps, un rabbin australien d'origine marocaine se chargeait d'animer les grandes fêtes.
En 2019, la communauté juive de Tahiti – une centaine de personnes – vit son judaïsme paisiblement sous les cocotiers.
Publié le 14/10/2019