Numéro 5 - Retour au sommaire

Fabriquer l'humain, effacer l'humain

Ecrit par Entretien avec le grand rabbin Gilles Bernheim

Monsieur le Grand rabbin, pouvez-vous tout d’abord nous dire quelques mots du projet transhumaniste ?

Le projet transhumaniste ambitionne de prendre le relais de l’évolution, pour construire un humain libéré des servitudes corporelles qui forgent et limitent son destin. L’homme peut alors devenir, en quelque sorte, créateur de l’homme. Mais « fabriquer l’humain » c’est prendre le risque de voir se développer une « sous-humanité technifiée », de plus en plus dépendante de technologies qui modèlent notre corps et notre cerveau, nos perceptions et nos sensations, et aussi notre relation aux autres.

 

Quelle est, selon vous, la force de ce projet ?

Sa force ? Prendre appui sur nos pulsions les plus primordiales, sur nos éternels espoirs : être plus forts, plus solides, plus intelligents, moins mortels. Nous affranchir de nos limites biologiques. Faire de l’organisme une mécanique à réparer avec des pièces interchangeables pour peu qu’on ait les moyens de se les offrir. Les recherches et expérimentations sont déjà en cours. Les changements qu’elles nous promettent dans les prochaines années sont inouïs. Rien de moins qu’une mutation de l’espèce humaine. Des promesses qui occultent tous les risques inhérents à ces pratiques hasardeuses et tous les dégâts collatéraux : l’épuisement des ressources nécessaires, la pression sur l’environnement, les dangers en termes de santé publique, l’annihilation des cultures et même… la fin de l’humanité.

 

Quels sont les risques et les faiblesses de ce projet ?

On nous annonce une révolution de l’espèce en quelques décennies. Or nous n’avons ni les outils ni les lieux pour penser cette mutation. Celle-ci adviendrait sans débat démocratique et à une vitesse folle. Qui, aujourd’hui, se demande en quoi ce futur est désirable ? Ou en quoi cela participe (ou non) à l’humanisation de notre civilisation ? Comme toujours avec les technologies, l’éthique et la politique courent derrière, déjà larguées par les annonces de découvertes et d’expérimentations qui se succèdent. Cet homme futur, transformé ou augmenté, que les savants produiront, est le produit d’une révolte contre l’existence humaine telle qu’elle nous est donnée, cadeau à échanger contre un ouvrage conçu de la main des savants.

Nous devons comprendre l’idéologie qui sous-tend ces innovations et ces promesses, dénoncer ce qui doit l’être : la fascination des rêves de puissance, les aventures aveugles et désinvoltes qui mèneraient notre espèce à sa perte, ainsi qu’une conception du progrès qui va rendre le futile indispensable, au mépris des urgences planétaires qui s’annoncent. 

 

Une question « en passant » : pourquoi vous êtes-vous intéressé au transhumanisme ?

Le transhumanisme m’a frappé par son dégoût de notre humanité, de l’homme tel qu’il est. Je n’oublie pas les questions simples et profondes des grands maîtres de la tradition juive, de Juda Halévi au Gaon de Vilna, d’une actualité saisissante : « À qui appartient-il de vivre ? », « Qu’est-ce que la vie ? » Ce sont des questions ignorées par le transhumanisme, qui contourne l’angoisse de vivre et de mourir qui nous tiraille. Àquoi nous servirait de vivre des centaines d’années si nous ne savions pas quoi accomplir ? Si nous étions mille fois plus rassasiés de jours qu’Abraham, qui lui, à 175 ans, l’était déjà beaucoup ? Quelle serait la place dans nos cœurs pour le souvenir de ceux qui nous ont aimés ? La joie ne consiste pas à vivre sans fin mais à avoir quelque chose à faire de notre vie. 

En vérité, les promesses des transhumanistes, comme la mort de la mort, ne sont que des leurres jetés dans l’espace public pour arracher le consentement des populations à leur asservissement aux dispositions technologiques et aux firmes qui les contrôlent.En fait de « santé », par exemple, nous restons mortels, mais au prétexte d’augmenter notre longévité, la « transhumanisation » ambiante nous habituera à être en permanence monitorés, afin que des algorithmes déduisent à chaque instant, de nos paramètres physiologiques transmis en temps réel, les aliments à absorber, les médicaments à prendre, les activités auxquelles nous adonner. C’est se réduire, pour une vie plus longue, à un ersatz de vie.

Plus philosophiquement, j’assimile volontiers une partie du transhumanisme, en particulier le discours sur l’intelligence artificielle, à une forme de néoplatonisme. L’idée de télécharger notre conscience sur une puce renvoie au « sema soma » de Platon, à l’idée que le corps serait la prison de l’âme. Le transhumanisme recycle les pensées d’un dualisme radical plaçant la matière du côté du mal et l’esprit du côté du bien et concevant le salut comme un affranchissement complet de l’esprit vis-à-vis de sa prison charnelle. Les gnostiques anciens rêvaient d’échapper au monde matériel. Les gnostiques modernes, dont les transhumanistes sont d’éminents représentants, espèrent quant à eux soumettre entièrement, grâce à la technologie, la matière à l’esprit.

 

Si tous les pays n’ont pas de tels scrupules éthiques en matière de recherche, cela ne rend-il pas toute prudence vaine ? D’ailleurs, peut-on arrêter le progrès ?

Quand bien même le développement technologique n’est plus un facteur de progrès humain, il est toujours un dispensateur de puissance. C’est pourquoi toute communauté qui se mettrait à l’écart du mouvement courrait le danger d’être asservie par celles qui l’auraient poursuivie. Il suffit de penser à ce qui s’est produit au cours des derniers siècles : des peuples qui vivaient tranquillement chez eux ont été colonisés par les puissances qui disposaient, grâce à la technique, d’armes plus puissantes. Conclusion : si rompre avec la technologie est dangereux, trop compter sur elle l’est tout autant. Ce qu’il faudrait, c’est en disposer tout en sachant s’en passer.

 

Où se situe alors la frontière entre l’homme réparé et l’homme augmenté ?

Très bonne question ! Prenons quelques exemples : en 2011, des chercheurs de l’Illinois ont créé un tatouage électronique épousant les méandres de la peau, tatouage qui permet un suivi médical à distance. On peut désormais mesurer la température, l’activité musculaire, les battements du cœur, le gonflement de la peau grâce à des capteurs électroniques intégrés dans ce timbre épidermique plus fin qu’un cheveu. Les applications sont aujourd’hui centrées sur le monitoring et les chercheurs pensent à des applications « internes » : surveillance du cœur ou du cerveau, par exemple, pour anticiper une crise d’épilepsie ou stimuler le rythme cardiaque et éliminer l’arythmie. Autre innovation, le tatouage dentaire composé de fils de soie, de graphène et de fils d’or, qui surveille votre état de santé et peut notamment détecter d’infimes quantités de bactéries et diagnostiquer certaines maladies. Jusque-là tout va bien, peut-être, sans doute, sûrement… Mais voilà, en 2016, des chercheurs de l’université de Tel-Aviv annoncent la création d’un tatouage permettant de mesurer l’activité des muscles et des cellules nerveuses. Ils espèrent dresser ainsi une cartographie des émotions en surveillant les expressions du visage par les signaux électroniques envoyés par les muscles faciaux. Puis de stocker des informations sur la peau, comme interface avec l’ordinateur. Puis des pigments assurent un changement de couleur du tatouage en cas de changement de température. Et donc d’afficher les émotions du porteur de tatouage. Bienvenue dans le monde de l’inquisition relationnelle ! Je parie sur d’autres innovations qui hybrideront toujours plus le corps et l’électronique, ce qui laisse envisager que le plupart des appareils électroniques qui nous entourent finiront par être reproduits sur notre corps. Un jour, la surface de la peau deviendra un écran d’affichage. Résumons : les techniciens du progrès restaurent des capacités perdues lorsque les transhumanistes confèrent de nouvelles propriétés. 

 

Le transhumanisme occupe-t-il idéologiquement une place particulière en ce début de XXIsiècle ?

C’est une idéologie dremplacement. La croyance dans les bienfaits du transhumanisme succède à la croyance dans les bienfaits supposés du capitalisme. Ce dernier avait promis progrès social et croissance sans limites. Il sombre avec des armées de chômeurs et de pauvres, dans l’impuissance à améliorer le sort des populations. Les propositions actuelles du capitalisme constituent plutôt des remises en cause de tous les gains qu’il aurait permis : acquis économiques et sociaux, amélioration des conditions de vie… Comment ne pas voir que l’idéologie transhumaniste prend le relais en promettant longue vie et santé, sans être davantage crédible dans un monde qui s’effondre ! Et comment ne pas voir que le refus de la finitude de l’humain – ses faiblesses, sa mort – est du même ressort que le refus par le capitalisme de prendre en compte les limites de notre planète ?  Et c’est le capitalisme qui, comme pour trouver un second souffle, soutient les énormes investissements technologiques et matériels pour le développement du transhumanisme.

Une partie des transhumanistes sont des libertariens, fervent défenseurs d’un capitalisme débridé où prime la liberté de chacun. Pour eux, aucune réglementation ne devrait empêcher de faire ce que souhaite chaque individu. De ce point de vue, le transhumanisme pourrait n’être que le dernier habillage idéologique de ceux pour qui il est normal que les plus forts écrasent tous les autres, succédant ainsi aux thèses du darwinisme social, et justifiant la domination sans limites des classes dirigeantes. 

 

Pouvez-vous nous décrire le modèle de société qui se dessine sous nos yeux avec l’usage de plus en plus développé de l’intelligence artificielle ? Quel regard portez-vous sur ce modèle ?

Le modèle qui s’impose dans les sociétés libérales est doté de pouvoirs homéostatiques qui règlent eux-mêmes leur fonctionnement d’après un équilibre préalablement fixe. Ce modèle prétend permettre à tous d’y trouver leur compte tout en étant piloté par des systèmes, à l’image d’un ensemble constituant un tout organique.

Margaret Thatcher, dont le slogan était « there is no such thing as society », avait défendu le principe d’un ordre innervé par des logiques organiques du marché qui viendraient tout embrasser et tétaniseraient par leur puissance tout projet divergent. En dépit de trois décennies de résistances de toutes sortes, sous l’effet de l’exploitation fort impérieuse de l’intelligence artificielles par les forces techno-libérales, la société est en train de disparaître. Faut-il rappeler à ce sujet cette définition – par Montesquieu – de la société : « Ensemble des individus entre lesquels existent des rapports durables et organisés, le plus souvent établis en institutions. » Dans notre période troublée, on voudrait charger, consciemment ou non, l’I.A. de résoudre nombre de nos difficultés. Plus la société est ingouvernable, plus on entend octroyer à une technologie le soin de régenter nos existences. Car l’I.A., dans son application collective, est à la fois supposée permettre de bien organiser, de générer des dividendes, tout en offrant à chacun ce qu’il est en droit d’attendre ; en cela elle opère une synthèse idéale entre les aspirations libérales et celles se revendiquant de « gauche » où la prise en compte de désirs individuels est aujourd’hui primordiale au nom de la liberté, de la non-discrimination et du droit de chacun à disposer de sa personne. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Emmanuel Macron entend instituer une « nation qui pense et agit comme une start-up » et où la technologie et l’I.A. sont reines.

 

À quel moment et dans quelles conditions passe-t-on de la technique utile à la technique aliénante ?

La réponse à votre question est d’autant plus difficile à énoncer que l’évaluation de la balance bénéfices/risques est parfois impossible tant les inconnues sont grandes et tant le principe d’utilité immédiate est construit pour l’emporter. Je pense à l’industrie nucléaire dont l’abandon se dessine enfin, mais sans solution quant aux déchets radioactifs dangereux pour des milliers d’années. Ou encore aux plantes génétiquement modifiées qui n’ont jamais pu démontrer leurs avantages pour les populations et dont les méfaits environnementaux, sociaux ou sanitaires se font sentir. Et les conséquences risquent d’être plus graves quand l’innovation altère la nature même des êtres humains.

 

Au nom de quel principe interdire certaines formes de transhumanisme ?

Je souscrirais peut-être au « principe d’indétermination » suggéré par l’adage talmudique « ein mazal léIsraël » qui qualifie le nom « Israël » par sa capacité à résister au mazal (le déterminisme) et à refuser de faire de l’être humain un être prédéterminé. « Principe d’indétermination » qui interdirait l’eugénisme, le clonage reproductif, les chimères, toutes techniques désirables pour les transhumanistes. 

 

Vous parlez de clonage reproductif. Du point de vue du judaïsme, pourrait-on réaliser des copies génétiques d’un individu ?

La méthode de clonage pourrait, dans des cas très restreints, s’apparenter à une discipline médicale autorisée par la halakha parce qu’à vocation strictement thérapeutique. Nous savons en effet que lorsqu’un des parents est atteint d’une forme de maladie génétique, le couple pourrait, grâce au clonage, avoir un enfant sans crainte de transmettre cette maladie et sans avoir recours à un donneur génétique étranger. Ce qui, sur ce dernier point, permettrait de contourner certains interdits halakhiques évidents.

Mais nous ne pouvons pas taire les raisons de fond qui nous invitent à plaider contre le clonage humain. On voit mal comment on pourrait passer directement du stade du clonage animal à celui de l’homme sans un minimum d’expérimentations, qui, toutes, apparaissent fort dangereuses sur les plans éthique et humain. De plus, nous assistons avec le clonage à une exploitation radicale de la femme réduite à quelques-unes de ses fonctions purement biologiques (prêt d’ovules et d’utérus). Mais ce n’est pas tout : dans le processus de clonage, les relations fondamentales de la personne humaine telles que la filiation, la consanguinité, la parenté, l’engendrement sont faussées. Une femme peut être la sœur jumelle de sa mère, ne pas avoir de père biologique et être la fille de son grand-père. Nous ne pouvons oublier que la personne clonée viendrait au monde en vertu du fait qu’elle est une « copie » d’un autre être (même si ce n’est que biologique). Et que cette pratique créerait les conditions d’une profonde souffrance chez la personne clonée dont l’identité psychique risquerait d’être compromise par la présence réelle ou seulement virtuelle de son « double ». Car si le « cloné » est engendré en vertu de sa ressemblance à quelqu’un qui « valait la peine » d’être cloné, il sera l’objet d’attentes et d’attentions qui constitueront une véritable atteinte à sa subjectivité personnelle. Nous ne nous attarderons pas ici sur les conséquences perverses et incontournables du clonage, l’instrumentalisation de l’être humain et le risque d’eugénisme. 

 

Soit, mais si les clones d’un sujet humain pouvaient demeurer à l’état d’embryon ou de fœtus, sorte de réservoir de tissus, voire d’organes en cas de besoin, qu’en penserait la loi juive ?

Admettons que la halakha puisse, dans des conditions strictement définies, autoriser, à partir de l’embryon obtenu par clonage, la culture de cellules destinées à être greffées. Cette technique permettrait de greffer de la moëlle en cas de leucémie ou des cellules neuronales dans la maladie de Parkinson. Mais, avec la théorie des pièces de rechange, comment empêcher juridiquement que l’on commence par remplacer un cœur usé puis simplement des gènes « pas corrects » ? Finalement, il s’agirait de créer des individus « corrects » hors du temps et de la généalogie. La tentation eugéniste n’est-elle pas irrésistiblement 

 

Dans son ouvrage consacré à la révolution transhumaniste, Luc Ferry, qui exclut le transhumanisme eugéniste, pense qu’avec la mise en place d’un système de régulation s’appuyant sur la loi il sera envisageable, dépassant le pessimisme ou l’optimisme, de prendre le bon du transhumanisme et d’éliminer le mauvais. Est-ce possible, selon vous ?

>span class="s8">Dans son ouvrage, Luc Ferry est bien conscient du fait que le transhumanisme et l’I.A. sont dangereux. Dès lors, son approche a le mérite d’éviter le catastrophisme d’un côté et le laxisme de l’autre, en dessinant une voie moyenne entre tout arrêter et laisser faire. Toutefois, le politique sera-t-il suffisant pour faire face à ce qui vient ? Commeen régime démocratique l’homme politique se fait élire, n’a-t-il pas tendance à vouloir plaire à l’opinion et, en voulant lui plaire, à la suivre et en se pliant à ce qu’il y a derrière elle, à savoir les groupes de pression et les médias, toujours soucieux de faire de l’audience avec du spectaculaire ou du démagogique. 

Regardons ce qui s’est passé avec le mariage pour tous. Au départ, le Pacs a été fait pour protéger le mariage comme bien et non comme contrat, et la famille comme expression de la différence des sexes. Or que s’est-il passé ? Le politique, pour plaire aux médias acquis à la cause LGBT, a fini par voter le mariage pour tous, faisant du mariage un contrat et la famille une association enterrant la différence sexuée. Résultat : le politique a été incapable de résister à la pression sociale et médiatique en faisant ce que cette pression exigeait que l’on fasse. Aujourd’hui, il paraît peu probable que le politique soit en mesure de résister au transhumanisme, à l’I.A. ainsi qu’au post-humanisme. Et je n’oublie pas qu’en démocratie l’éthique de la dissuasion finit presque toujours par l’emporter sur les arguments d’autorité.

 

Notre époque rêve-t-elle d’une immortalité faisant l’économie du passage par la mort ? Quelles en seraient les premières conséquences ?

Comme en tout temps, des hommes rêvent d’échapper à la mort. Mais notre époque est traversée par un état d’esprit nouveau : il s’agit de l’incroyance en l’immortalité surnaturelle suggérée dans les traditions monothéistes par la résurrection des morts mais aujourd’hui doublée par la croyance en une possible immortalité technologique. Dieu est mort, croit-on à la suite de Nietzsche, toutefois les techniques pourraient nous consoler de cette absence. Mais quand l’immortalité spirituelle se méritait par un perfectionnement intérieur, l’immortalité biotechnologique ne nécessite aucune vertu, elle s’achète. Dans la perspective immoraliste du transhumanisme contemporain, ce n’est plus l’effort spirituel qui ouvre sur la vie sans limites, c’est la carte de crédit. Ou plutôt l’alliance du compte en banque et des biotechnologies. La perversité de cet abord de la question saute aux yeux : l’immortalité version transhumaniste s’achète, se monnaie. Il n’est pas impertinent d’articuler cette démocratisation de l’immortalité à la marchandisation croissante des parties du corps humain.

Dans l’immortalité – ou plus exactement chez un mortel qui ne meurt pas –il n’y a plus ni héritage ni héritiers. La raison en est simple : l’immortalité fait disparaître ladifférence entre le passé et le présent, tout devient contemporain. Pour laisser un héritage, il faut mourir. Et pour recevoir un héritage, il faut que d’autres meurent avant nous. Autrement dit, l’immortalité rompt la chaîne de la transmission dans laquelle se reconnaît la condition de la possibilité de tout héritage, culturel ou de tradition religieuse. L’une des beautés les plus précieuses de l’existence réside dans l’alternance du testateur et du légataire. Nous donnons ce que nous fûmes, ce que nous avons aimé, ce que nous avons construit et, par-dessus tout, ce que nous avons hérité. Par le truchement de ce don aux facettes multiples, nous nous donnons nous-mêmes. En mourant, nous nous donnons en nous abandonnant autant qu’en abandonnant l’héritage à ceux qui nous survivent. Sans la mort, le don n’aurait jamais fait son entrée dans le monde. Et si par malheur nous devenions immortels, le don quitterait ce monde. Le transhumanisme sera l’immortalité sans générosité. Faudra-t-il alors rappeler cet adage rabbinique : « Les parents aident les enfants à vivre, les enfants aident les parents à mourir » ?


Publié le 28/10/2019


Si cet article vous a intéressé partagez le

https://www.leclaireur.org/magazine/article?id=160