Pouvez-vous nous dire ce que sont les robots et ce qu’ils ne sont pas ?
La robotique est fille de la cybernétique et de l’informatique. De quoi s’agit-il ? La robotique s’inscrit dans l’histoire des machines. Une machine est un objet technique qui produit un mouvement. Elle se distingue d’un outil, tel que le marteau, qui trouve sa fonction par sa mise en mouvement produite par l’énergie humaine. La machine,quant à elle, contient sa propre source d’énergie. Pensez à la machine à vapeur : elle transforme l’énergie thermique en énergie mécanique. Avec la maîtrise de l’électricité à la fin du XIXe siècle et l’introduction de l’électronique au début du XXe, de nouvelles machines apparaissent : elles transforment l’énergie électrique en énergie mécanique. Avec leurs moteurs électriques, elles ouvrent un nouveau champ des possibles. L’électronique, quant à elle, permet le traitement, la transmission et le stockage d’informations. Ainsi, le thermostat de votre appartement capte la température ambiante, et, en fonction de la température de confort que vous souhaitez, elle va enclencher ou désactiver le brûleur de votre chaudière. C’est le principe de base de la régulation, principe qui va être théorisé dans les années 1940 par Norbert Wiener, le père de la cybernétique. À partir des années 1950, l’introduction des ordinateurs permet de numériser les signaux, d’introduire des mécanismes de calcul (autrement dit des algorithmes) qui vont enrichir les capacités d’adaptation de la machine. Et le premier robot industriel apparaît en 1961 dans l’industrie automobile. Il s’agit d’Unimate créé par George Devol et Joseph Engelberger. C’est dans ces années qu’on date la naissance de la robotique. Un robot est donc une machine qui produit du mouvement. Elle est munie de moteurs qui permettent sa mise en mouvement, de capteurs qui lui permettent d’estimer son état, et de programmes d’ordinateur qui la rendent capable de s’adapter automatiquement à son contexte pour réaliser une tâche donnée. Dans le langage courant, on parle de machine intelligente pour suggérer que le robot est capable de raisonnement et d’adaptation.
Quelles sont les prochaines étapes de la robotique et leurs applications pour le grand public ?
La robotique trouve son origine, nous l’avons vu, dans la robotique industrielle. Tout le monde sait que nos voitures sont fabriquées par des robots. La robotique irrigue aujourd’hui de nombreux champs d’activité. Les robots permettent d’explorer des mondes auxquels l’homme n’a pas directement accès. Les robots d’exploration planétaire ou d’exploration sous-marine en sont un bon exemple. Ils permettent une très grande précision dans l’exécution d’un mouvement et sont aujourd’hui utilisés sous contrôle des médecins pour minimiser l’impact des interventions chirurgicales et diminuer la taille des cicatrices qui en résultent. En agriculture, on voit apparaître les premières machines capables de désherber mécaniquement un champ et de remplacer les pesticides. Dans le domaine de la défense, les drones sont d’ores et déjà utilisés pour repérer des cibles, voire les détruire ; parfois appelés « robots tueurs », ils restent des machines automatiques dont le contrôle est du ressort de la prise de décision par un humain et peut se faire à des milliers de kilomètres du site visé. Dans le domaine de la logistique, des robots mobiles assurent automatiquement le transport de charges dans des grands sites de stockage. La voiture autonome qui fait la une des journaux peut aujourd’hui effectuer automatiquement un créneau ; c’est bien un robot ; il reste que son développement pose des problèmes de sécurité qui sont très loin d’être résolus. Dans le domaine des services, on trouve des robots humanoïdes capables de dialoguer avec un humain ; on commence à les trouver dans des gares pour nous renseigner sur le quai de départ de notre train ou dans des supermarchés pour nous inciter à acheter tel ou tel produit ; il reste que ces robots se cantonnent à des fonctions de communication et qu’ils ne sont pas encore en capacité de prendre un produit dans un rayon et de le mettre dans notre chariot. L’interaction physique de la machine avec le monde réel reste un défi pour la recherche. Les progrès seront beaucoup plus lents que ce que laissent penser les médias et les séries de science-fiction. Dans ce sens, les robots sont encore loin de pouvoir « envahir notre quotidien ». Il est très difficile de mesurer leur impact réel dans le futur.
La robotique va-t-elle modifier de façon sensible le monde dans lequel nous vivons, le travail humain et notre environnement ?
Dans le domaine du travail, la robotique a d’ores et déjà modifié de façon sensible le monde dans lequel nous vivons. Le fait est patent dans l’industrie : nous ne fabriquons plus nos voitures comme nous le faisions au début du siècle dernier. Dans ce secteur, les systèmes de production ont été entièrement repensés pour s’adapter à la machine. Le robot est cantonné dans des espaces où l’homme ne doit pas pénétrer. Dans le futur, c’est la machine qui s’adaptera au système de production. Dès lors que les conditions de sécurité seront remplies, elle pourra interagir physiquement avec l’homme. C’est déjà le cas avec la cobotique : un cobot permet une interaction directe avec l’homme dans un espace de travail partagé. Par exemple, la manutention de charges lourdes peut se faire conjointement par un cobot qui assure l’essentiel de l’effort et par un opérateur qui assure la précision du mouvement.
Les différents champs d’application évoqués plus haut (médecine, agriculture, transport, défense, services…) contribuent à la transformation de notre environnement et du rapport que nous entretenons avec lui. Il y a un enjeu important à bien comprendre quelle est la nature de cette transformation pour bien comprendre ce qui se joue actuellement. Les effets d’annonce conduisent souvent à une surestimation des possibilités de la technologie et suscitent une déraisonnable fascination. Gilbert Simondon, un grand philosophe des techniques, disait déjà en 1968 à propos de ces effets d’annonce, il faut « démythiser le robot et tout ce qui tourne autour du robot. C’est de la très mauvaise littérature qui fait du tort à la technique, et fait du tort à la manière dont la technique peut être pensée par nos contemporains ». Comprendre ce qu’il en est est une condition nécessaire pour penser la société que nous voulons. Il est indispensable d’être vigilant et il faut se méfier des prospectivistes, en particulier dans le domaine des théories économiques.
Récemment, un robot a dirigé un orchestre d’opéra et on parle de robots artistes. Est-ce à dire que les robots peuvent être créatifs ?
Non. Ne nous laissons pas abuser. L’orchestre a été suffisamment gentil pour se prêter au jeu. Le robot, dans ce cas, n’était qu’un métronome très élaboré. Sa part de créativité était nulle. En revanche, on peut s’émerveiller de la prouesse de l’ingénieur, sans doute musicien, à l’origine du programme qui a mis la machine en mouvement. Plus généralement, dans le domaine de l’art contemporain, il y a une tendance à confondre prouesse technologique et démarche artistique.
Bibliographie :
Robots, Jean-Paul Laumond et Denis Vidal, éd. de la Cité des sciences et de l’industrie, 2019.
Poincaré et la robotique : les géométries de l’imaginaire, Jean-Paul Laumond, éd. Le Bord de l'eau, 2018.
La Robotique : une récidive d'Héphaïstos, Jean-Paul Laumond, Fayard, collection Collège de France, 2012.
Publié le 16/10/2019