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L'ombre du Golem

Ecrit par Entretien avec Éliette Abécassis - Propos recueillis par Sandrine Szwarc

Éliette Abécassis, de quoi parle donc ce livre ?

Le récit de L’Ombre du Golem se déroule au XVI e siècle. Il nous fait rencontrer
le rabbi Yehouda Loew ben Bezalel, autrement dit le Maharal de Prague, son
ami l’astronome Tycho Brahé ou l’empereur Rodolphe II et le Golem, protecteur
des Juifs persécutés. En effet, une grand-mère pragoise, Zelmira, décide de
raconter à ses petits-enfants une histoire qui lui est arrivée alors qu’elle était
elle-même enfant. Cet événement a marqué toute son existence et son grand âge
lui intime de rendre public ce secret qui a bouleversé sa vie. Mais pas seulement,
car l’humanité aussi est concernée. Zelmira commence alors le récit d’une nuit
particulière au cours de laquelle elle croise la route du Maharal de Prague et
assiste, en secret, à la création du Golem. « J’avais assez de souvenirs et de
questions et l’envie grandissante de retourner voir ce fameux Golem, cette
créature incroyable, invention du plus grand génie de Prague », dit le personnage
qui va se lier d’amitié avec le Maharal, son épouse et son Golem.


Votre récit reste fidèle à la légende. Pourquoi avoir choisi d’écrire sur ce
thème ?

C’est un thème qui est doublement d’actualité. D’abord, parce que nous
sommes menacés en tant que juifs comme du temps du Maharal, ce dont
témoigne l’actualité récente. Et l’on se plaît à imaginer qu’il puisse exister
une créature qui nous défende contre cet antisémitisme barbare et
insupportable. Et d’autre part – et les deux thèmes se rejoignent –, le Golem
rappelle la machine que l’homme crée et qui va finir par le dominer. Dans
des moments de crise de civilisation comme celle que nous vivons
actuellement avec l’évolution technologique et la domination de la science,
étrangement, les gens se retournent souvent contre les Juifs comme s’ils étaient des vestiges de cette humanité dont il faut à la fois témoigner et attaquer sans cesse. 

J’ai écrit ce récit illustré pour la jeunesse en pensant à ce que la technologie fait aux enfants. Personnellement, j’ai eu l’impression de perdre le lien avec mes enfants à cause du portable, une création humaine qui vient nous dominer et qui finalement se retourne contre nous.

C’est précisément le thème du Golem.
Le golem existe dans les textes de la tradition juive. Le mot apparaît en effet
dans le Livre des Psaumes pour qualifier une masse informe et l’on peut
même considérer qu’Adam serait le premier des golems puisque l’homme
originel a été créé par Dieu à partir de la poussière de la terre avant de
l’animer de son souffle. Finalement, qui est le Golem de votre livre ?
C’est une créature d’argile que le Maharal de Prague, un sage et un
scientifique au savoir universel à qui l’on prête des inventions
extraordinaires, a créée. C’est une légende à la lisière du réel et du
fantastique, mais on peut la prendre comme une invention scientifique du
Maharal qui aurait fabriqué une sorte de robot. Ce robot est créé par
désespoir pour la défense exclusive de sa communauté devant les pogroms
qui déciment les Juifs d’alors. Le Golem va effectivement les défendre et
ramener le calme dans les esprits de sa communauté. Mais cette créature
créée par le Maharal finit par se retourner contre son créateur, exactement
comme ce que je disais, à savoir que les machines prennent le contrôle de
nos vies.
Cette légende, bien qu’apparue à une époque ancienne, passe les siècles, et
reste d’actualité, véhiculant un message à la fois universel et indémodable,
car valable en tout temps.
Je dirais une légende bien plus qu’indémodable, car le Golem a inspiré tous
les super-héros – Superman, Spiderman, les X-Men, etc. – parce qu’il
reprend le mythe de l’homme et de la machine, mais finalement du
surhomme, de celui qui se rêve plus fort, plus puissant qu’il n’est. Ce
mythe est actuellement d’actualité avec le transhumanisme qui est cette
idéologie qui veut augmenter l’homme et le rendre quasiment immortel.
C’est-à-dire de faire de tous les hommes des golems.
Vous le rappelez, Golem commence par les mêmes deux premières lettres
que Google. Les GAFAM ou géants de la Toile sont au cœur de nombreuses
polémiques. Internet, les réseaux sociaux et les écrans en général sont-ils le
golem du XXI e siècle ?
En effet, il me semble que les nouvelles technologies, et notamment
l’intelligence artificielle, ont été créées par nous pour nous servir et finissent par
nous asservir et nous dominer, dans une forme de manipulation heureuse, car nous en redemandons. N’oublions pas que le Golem n’avait pas le droit d’accomplir des tâches ménagères. Quand on fait entrer les machines à la maison, dans son intimité, on prend tout simplement le risque de perdre sonhumanité.

Dans ce livre destiné à toutes les générations à partir de 11 ans, les dessins
de Benjamin Lacombe prolongent votre plume…
Absolument, le livre est illustré et je dirais même peint par un grand artiste et un
dessinateur parmi les meilleurs de son époque. Dans la conception des
personnages, nous avons travaillé ensemble parce que nous les avons pensés
ensemble. Quand je les décrivais, Benjamin Lacombe les dessinait. Et cela
donne un livre avec de très belles illustrations dont certaines sont de véritables
tableaux. Et j’en suis très fière.
Votre actualité est la parution d’un ouvrage très personnel, L’Envie d’y
croire. Journal d’une époque sans foi (éd. Albin Michel). En quoi son thème
se rapproche-t-il de notre discussion autour de la figure contemporaine du
Golem ?
C’est un livre sur l’emprise de nos vies par la technologie, la nécessaire prise de
conscience du fait que nous sommes dominés par nos Smartphone et nos
ordinateurs, qui nous apportent beaucoup de bienfaits, mais qui nous rendent
esclaves au point que nous ne pouvons plus ni nous en passer, ni vivre sans, ni
même penser librement sans Google, nom similaire phonétiquement à Golem.
Le moyen de s’en sortir n’est pas de lutter contre la modernité mais de créer un
espace où nous nous en libérons. Pour moi, c’est le sens même du chabbat qui
n’a jamais eu autant d’importance qu’aujourd’hui !

Publié le 18/09/2019


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