J’ai très tôt eu la chance d’être professionnellement confronté aux avancées stupéfiantes de l’intelligence artificielle ainsi qu’aux envies prométhéennes des transhumanistes. Notamment lors d’une conférence donnée en 2014 par Peter Diamandis, cofondateur de la Singularity University, haut lieu du transhumanisme. Sa métaphore était simple : sou- venez-vous de la légende du créateur du jeu d’échecs qui pouvait demander au sultan la récompense de son choix. Le génial inventeur proposa au sultan de poser un grain de riz sur la première case de l’échiquier, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, huit sur la quatrième, etc. Il se satisferait du volume de riz cumulé de la première à la soixante-qua- trième case. Le sultan se rendit vite compte qu’il était impossible d’honorer sa promesse, tant le volume dépassait, et de de loin, tout le riz produit depuis le début de l’humanité. Diamandis fait la même analyse à propos de la puissance des machines : si on considère qu’un grain de riz est une capacité de calcul et qu’on fait démarrer le compte lors de l’invention du transistor, on entre dans des nombres absolument gigantesques aux environs des années 2010 qui matérialisent des possibilités scientifiques jamais entrevues et qui, pour certaines, surpasseront de beaucoup les capacités de l’humain dans de très nombreuses activités. Autrement dit, nous vivons une ère de basculement significatif où le formidable succès technique de l’humanité n’a pas seulement un petit effet d’amélioration continue, mais est capable de nous projeter dans une civilisation totalement nouvelle marquée par des changements encore plus radicaux que l’invention de l’imprimerie ou la révolution industrielle. D’où un mélange paradoxal de fascination et d’inquiétude.
Il faut donc d’abord impérativement séparer ce que dit ou peut véritablement la science des effets d’annonce se jouant de notre ignorance (parfois entretenue pour des raisons mercantiles). Nous sommes fiers d’avoir pu associer à ce numéro des spécialistes de premier plan qui nous permettent de faire la part des choses, nous mettent en garde contre les fakes news pseudo-scientifiques et dénoncent l’amalgame entre science et science-fiction . Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Laurent Alexandre, considéré comme l’un des chantres du transhumanisme et à qui l’on a parfois reproché une propension à l’exagération, se montre lui-même plutôt prudent quant aux réelles possibilités de la science.
Mais ces façons parfois délirantes d’envisager l’avenir en disent long sur l’homme et sur la société d’aujourd’hui, ce que nous touchons également du doigt dans ce numéro.
Ceci étant posé, il est frappant de constater que le judaïsme dispose de fantastiques ressources pour penser ces évolutions et apporter au débat une vision originale . Ces avancées technologiques posent des questions morales inédites que la tradition juive peut envisager sereinement grâce à la créativité dont les théologiens et spécialistes de halakha (loi juive) ont toujours su faire preuve . Ce nouveau numéro de L’éclaireur – qui fête son premier anniversaire – a pour projet d’en rendre compte.
Bonne lecture !
Publié le 02/09/2019