Guillaume Apollinaire (1880-1918) fut un grand poète, écrivain, critique d’art et théoricien de l’art. Il eut au cours de son existence l’occasion de fréquenter de nombreux Juifs. D’abord Julien Weil, le compagnon de sa mère qui s’occupa beaucoup de lui et de son frère. Puis l’érudit Molina da Silva qui l’initia à l’hébreu, à la pensée et à la culture juives ainsi qu’aux différentes traditions des communautés méridionales et orientales. Comme son ami Max Jacob, il s’intéressa à la kabbale. Né Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky, sujet polonais de l’Empire Russe, étranger en France, il éprouva de la sympathie pour les immigrants qui, comme lui, erraient sur terre. Avec les Juifs et le judaïsme, le poète partageait un rapport original à l’identité, à l’ancrage dans les traditions et à l’errance. Les errances identitaires juives qu’il a relatées constituaient un reflet de ses propres questionnements personnels et intérieurs. Le poète a accepté de recevoir la rédaction de L’éclaireur pour cet entretien (presque) imaginaire. Dans cet entretien, tous les propos d’Apollinaire sont extraits de son œuvre.
Guillaume Apollinaire, vous affectionnez les Juifs dont vous connaissez les traditions. Pouvez-vous nous citer des personnages qui vous attendrissent ?
Ottomar Scholem et Abraham Loeweren
Coiffés de feutres verts le matin du Sabbat
Vont à la synagogue en longeant le Rhin […]
Ils se disputent et crient des choses que l’on ose à peine traduire […]
Pourtant tout à l’heure dans la synagogue l’un après l’autre
Ils baiseront la Thora en soulevant leur beau chapeau
Parmi les feuillards de la fête des cabanes
Ottomar en chantant sourira à Abraham […]
Et dans la synagogue pleine de chapeaux on agitera les loulabim
Hanoten ne Kamoth bagoim tholahoth baleoumim
À qui d’autre pensez-vous encore ?
David Bakar était assis à son comptoir. Il nous dit de prendre le bijou dans la vitrine et lorsqu’après avoir marchandé je voulus le payer, il me dit qu’il n’avait pas de monnaie à me rendre et d’aller en faire dans le voisinage. Je compris que cet homme ne voulait pas travailler le jour du sabbat, et quand de retour, j’eus payé ce que je devais, la monnaie resta sur le comptoir .
Pourquoi avez-vous toujours pris la défense des Juifs ?
J’aime tous les Juifs car
Tous les juifs souffrent partout .
Je ne demeure nulle part et ainsi ne souffre pas d’être juif. Car tous les Juifs souffrent d’un mépris immérité. Voyez de Daniel à Dreyfus que n’ont-ils pas souffert dans les pays que leur sagesse honorait .
Quels Juifs préférez-vous ?
Ceux d’Avignon […] Je préfère les prénommés Gabriel, nom qui se termine par el comme les paroles qui me semblent les plus chères : ciel et miel.
Mots puissants comme le nom des anges. Le ciel que l’on médite et le miel que l’on mange .
Vous connaissez bien les communautés ashkénazes, souvent évoquées sous votre plume ?
Quelques-uns de ces émigrants restent et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l’air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
Il y a surtout des juifs leurs femmes portent la perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques .
Vous appréciez vos amis les écrivains Sadia Lévy et Robert Randau qui ont écrit respectivement Rabbin (1896) et Onze journées en force (1902). Pouvez-vous nous en dire davantage à leur sujet ?
Les talents algériens de Robert Randau et de Sadia Lévy fraternisent. Je les symboliserai volontiers par la même lettre de l’alphabet hébraïque en mettant pour Robert Randau le point virilisant appelé le daguesh.
À le lire [Sadia Lévy] on admire cet esprit très orné où gisent les mots hébreux, lourds comme des diadèmes […] On reconnaît à la brièveté de sa phrase et de son art subtil le rythme concis et merveilleux des psaumes .
Vous avez une étonnante proximité avec les juifs…
Des Juifs m’ont pris pour un Juif !
Merci pour cet entretien.
Publié le 30/06/2019