L’uchronie est un genre littéraire relevant de la fiction et qui consiste à réécrire l’histoire en imaginant les conséquences de la modification d’un événement précis. C’est donc un récit alternatif. Cette rubrique se propose d’appliquer ce principe à des grands moments de l’histoire juive.
Les Khazars
L’histoire des Khazars continue de nos jours à être enveloppée de mystère. Malgré les recherches de certains historiens, notamment arabes, et en dépit de l’ouvrage populaire du rabbin médiéval Juda Hallévi, Le Livre du Kuzari , de l’essai captivant d’Arthur Koestler, La Treizième Tribu , ou plus près de nous, du roman de Marek Halter, Le Vent des Khazars , l’épopée de ce peuple disparu est toujours aussi nébuleuse.
Ce dont on est sûr, c’est qu’à l’aube du VIIIe siècle, entre le Caucase et la Volga, un puissant empire exerce son emprise sur l’est de l’Europe : les Khazars. Semi-nomades, ces guerriers impétueux dont les razzias sont redoutables, s’adonnent à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche. En fonction des saisons, ils passent de leurs tentes à des cases en dur. Ils sont quelque cinq cent mille, parlant une langue turco-altaïque et pratiquant, dans le domaine spirituel, une forme de chamanisme sous l’autorité de prêtres-magiciens.
Avec une armée de douze mille soldats, qui peut, en cas de besoin et en y adjoignant les réserves et les supplétifs, atteindre cent mille hommes, l’empire khazar se présente comme une troisième force face aux deux pôles qui se partagent le monde : la chrétienté et l’islam.
En 740, le roi Boulan et son entourage réalisent que leurs croyances chamanistes n’ont ni l’aura de l’islam du calife de Bagdad, ni le dynamisme conquérant du christianisme byzantin. L’idée d’une conversion en masse des Khazars à une grande religion fait son chemin dans leur esprit. Un jour, Boulan réunit ses proches et leur rapporte qu’un ange lui est apparu en songe, l’exhortant à honorer le seul Dieu qui soit en mesure de lui permettre de croître et de vaincre ses ennemis. Mais le roi des Khazars, en fin politique, sait aussi que la conversion contient en elle les germes d’une absorption dans un ensemble plus vaste avec le risque, à terme, d’une disparition. Comment affronter cette contradiction ? Une idée originale se dessine peu à peu dans l’esprit du souverain. En toile de fond, une autre religion, le judaïsme. En effet, depuis de nombreuses années, un contact s’est établi avec des Juifs. Fuyant les persécutions croisées de Byzance et des Arabes, des réfugiés juifs ont rejoint les terres régies par les Khazars. « Le judaïsme ! La source même des deux branches puissantes du monothéisme. Voilà la solution qui nous permettrait d’atteindre la grandeur spirituelle et morale tout en maintenant notre originalité », se dit Boulan. Mais il veille à ce que les apparences soient sauves. Une grande disputation est organisée à Itil entre les représentants des trois religions : islam, chrétienté, judaïsme. Les discussions sont longues et les observateurs khazars se perdent dans l’analyse et l’examen de développements sans fin sur des questions futiles. Boulan proclame alors une trêve de trois jours afin de mettre ses idées au clair.
C’est alors qu’il a une idée géniale quipermettra le ralliement certain de son peuple au judaïsme tout en donnant à la consultation mise sur pied un semblant de forme démocratique. Il convoque séparément les trois ministres des cultes en concurrence et leur pose la même question : « Dis-moi, Ô digne représentant de ta foi, laquelle des deux autres religions, est, selon toi, la plus proche du Vrai ? » Dès lors, le judaïsme ne pouvait que l’emporter. C’est ce qui arriva et Boulan put annoncer : « Après consultation et en notre âme et conscience, nous avons choisi le judaïsme. » Immédiatement, on procède à la circoncision de l’empereur et des hommes de son entourage comme de ses serviteurs mâles. Des synagogues sont créées. On ouvre des écoles pour enseigner la loi de Moïse.
La judaïsation des Khazars se fit par étapes. Au début, tels les Karaïtes, ils ignorèrent le Talmud. C’est au petit-fils de Boulan, le roi Obadiah, qu’il revint d’instaurer parmi les siens un judaïsme plus conforme et plus offensif avec l’in-troduction du Talmud et la multiplication des lieux de prière. Ses successeurs Hiskiah, Manasseh, Hanoukah, Isaac, Manasseh II, Nissim, Menahem, Benjamin et Aaron continuèrent dans cette voie. Dans sa Description de l’Empire, le chro-niqueur arabe Muqaddasi, qui vivait à Jérusalem au Xe siècle, écrit : « En Khazarie, moutons, miels et Juifs se trouvent à foison. »
Le déclin des Khazars s’amorça avec l’apparition des Vikings et le début de l’expansion russe. Mais leur influence demeura forte pendant des siècles. Ils donnèrent aux Magyars leur premier roi, Arpad, et firent de même avec la future Pologne.
En 965, Itil fut détruite par les armées de Sviatoslav et, en 1065, l’armée russo-byzantine soumit la Khazarie, entraînant l’exode des populations.
La dernière mention connue des Khazarsen tant que nation indépendante datede la mission de Giovanni di Piano Carpini, envoyé par le pape Innocent IV auprès de l’empereur Batou-Khan en 1245-1247. Selon de nombreux historiens, y compris en Israël, les Khazars sont à l’origine d’une part importante du judaïsme européen.
Itil et Jérusalem, capitales d'un État juif binational
740. Itil, capitale de l’empire des Khazars, somnole en ce matin d’automne quand le héraut mandaté par le souverain réveille brusquement la cité au son de sa trompette. « Oyez, oyez, braves gens, l’empereur Boulan convoque toute la population d’Itil pour une déclaration de la plus haute importance. Soyez tous dans deux heures sur la place Altaï. Sa majesté sera accompagnée par le Kagan Gaydar. Les vingt-cinq épouses du souverain et ses soixante concubines seront également présentes. Oyez, oyez, nous vous attendons tous ! » Deux heures après le passage du héraut, la grande place Altaï était noire de monde. Les Khazars, polygames, étaient venus avec femmes et enfants. Une estrade gigantesque avait été dressée pendant la nuit. Quand Boulan apparut avec sa suite, tout le monde baissa la tête en signe de soumission et de respect.
« Mes fidèles sujets, mes frères, lança Boulan, cette nuit, j’ai fait un rêve. J’ai fait part de mes préoccupations à notre Kagan, en charge des affaires religieuses et, quoique cela lui coûte, il a reconnu le bien-fondé de mes préoccupations. Notre religion et nos croyances actuelles ne font pas le poids face aux trois religions monothéistes. L’islam du calife de Bagdad bénéficie d’une aura exceptionnelle et le christianisme byzantin se développe à pas de géant. Quant au judaïsme qui les a précédés, il tient bon malgré la haine que beaucoup, en Orient comme en Occident, lui vouent. Mes frères, en accord avec notre Kagan, j’ai décidé de mettre sur pied une disputation. Je vais convoquer les représentants de ces trois religions dans notre capitale. La confrontation aura lieu ici même, dans trois jours. Nous choisirons alors pour notre peuple celle des trois croyances dont le représentant nous aura le mieux convaincus.
Trois jours plus tard, dès l’aube, la place Altaï commençait à se remplir. Au milieu de la matinée, la foule dense et animée vit arriver le souverain et sa suite sur la tribune accompagnés du représentant des Juifs, le rabbin Shelomo Matuzoff, le représentant des Chrétiens, le père Igor Aliyev, et celui des Musulmans, l’imam Habib Rahmanov. Chacun, tour à tour, devant l’empereur, sa suite, le Kagan et une importante délégation militaire, exposa son point de vue et les raisons qu’il avait de croire que sa religion était la meilleure.
Les palabres, animées par un fidèle de l’empereur, Batou Chamanoff, durèrent plus de trois heures. Le public commençait à avoir faim et soif. Il était temps de conclure. Boulan donna congé à sa population. Il fut convenu que la décision serait prise après une réunion plénière des dirigeants du pays.
Les débats durèrent une semaine. Au bout d’un temps qui parut infini aux milliers d’habitants d’Itil, le héraut fit sa réapparition avec sa trompette matinale. « Oyez, oyez, notre vénéré empereur Boulan a pris sa décision. Nous sommes tous convoqués demain matin sur la place Altaï. »
Le lendemain, sur l’estrade gigantesque qui n’avait toujours pas été démontée, Boulan, entouré de sa suite, prit la parole : « Mes fidèles sujets, mes frères, nous avons bien réfléchi et nous avons décidé d’abandonner le chamanisme. Désormais, nous adoptons... le judaïsme. Chalom, Chalom à vous tous. Adonaï Élohénou, Adonaï Éhad. »
Dès le lendemain, le royaume juif de Khazarie était proclamé, des synagogues rapidement édifiées et l’enseignement du judaïsme organisé méthodiquement. Au fil des siècles, la judéité du pays s’installa. Les souverains qui succédèrent à Boulan accélérèrent la judaïsation de la Khazarie et se révélèrent être des propagandistes acharnés de la voie nouvelle. En l’an 990, la décision de Rabbénou Gershom, prise en 987, interdisant la polygamie dans le monde juif ashkénaze, pendant mille ans, parvint à Itil, rapportée par des voyageurs juifs. Le roi décida peu après d’abolir la polygamie au royaume des Khazars.
Mais, malgré cet essor, la faiblesse démographique du pays – deux millions de citoyens juifs – inquiétait les dirigeants. Une attaque générale et successive des contrées environnantes fut décidée, en 1215, par le roi Hiskiah II. Les armées khazares, très aguerries, eurent facile-ment raison des populations magyares, bulgares, polonaises et russes qui, non seulement se rendirent sans combat mais acceptèrent, sans sourciller et non sans un certain intérêt, la nouvelle religion qui leur était imposée par les vainqueurs. Des territoires représentant cinq fois la superficie de la Khazarie de Boulan furent annexés. Au milieu du XIVe siècle, on comptait dix millions de Juifs dans la Khazarie étendue.
Les siècles s’écoulèrent avec des hauts et des bas, des moments de calme et des périodes de tension et c’est en 1840 qu’une République Juive de Khazarie fut proclamée. Son premier président fut Ilham Levinsohn. Des troupes khazares participèrent à la Première Guerre mondiale aux côtés des Alliés et, lorsqu’en 1919 la Société des Nations (SDN) fut instituée, la République Juive de Khazarie fut l’un des premiers pays à y être admis. Tout naturellement, lors de la Seconde Guerre mondiale, la République Juive de Khazarie, alors présidée par Chemaya Israélowicz, fournit son contingent de soldats pour lutter contre le nazisme. En 1950, deux ans après la proclamation de l’État d’Israël par David Ben Gourion, une conférence dite de l’Union se réunit successivement à Itil et à Jérusalem. Après trois semaines d’intenses débats, la décision fut prise de proclamer, malgré l’éloignement géographique, un État réunifié Israël-Khazarie, la capitale administrative étant Jérusalem et la capitale économique Itil. En tout, quinze millions d’habitants, essentiellement juifs. Les sièges des deux pays à l’ONU, qui succéda à la SDN, furent confondus en unseul.
En 2019, l’État d’Israël-Khazarie compte dix-sept millions d’habitants dont 15 millions de Juifs. Une étude de l’ONU le classe comme sixième puissance mondiale et comme troisième pays de la planète en termes de qualité de vie.
Publié le 27/08/2019