L’apologie de Mendelssohn, Eli Schonfeld (éditions Verdier)
Moses Mendelssohn (1729-1786) fut un grand philosophe juif qui influença forte-ment la Haskala, mouvement des Lumières interne au judaïsme. Fils de rabbin, il connaissait fort bien la Bible et le Talmud. On a dit de lui qu’il fut le « troisième Moïse » après le personnage biblique et Moïse Maïmonide dont il connaît et commente l’œuvre. On lui reprocha de vouloir fondre l’identité juive dans la germanité, autrement dit de renoncer aux traditions, ce qu’il ne visait pourtant pas, bien que théorisant la portée universelle du judaïsme. Dans l’ouvrage qu’il lui consacre, Eli Schonfeld, maître de conférences en philosophie à Jérusalem, se demande comment Mendelssohn – qui exerça une très forte influence sur Hermann Cohen, Franz Rosenzweig, Emmanuel Levinas et Benny Lévy – réussit à concilier l’idée de peuple élu et la dimension universaliste du judaïsme. Pour cela, Mendelssohn dut notamment distinguer religion et législation révélée.La religion est ce qui mène au salut. Or ce dernier est possible, selon le judaïsme tel que l’a compris Mendelssohn, pour tout être humain respectueux de principes éthiques généraux que la raison et l’observation de la nature permettent de dé-couvrir. La législation imposée aux Juifs, la Tora, est indépen- dante de la question du salut.À quoi bon un peuple élu, alors ? Pour qu’il exerce une fonction sacerdotale, que les Juifs soient dans l’histoire les gardiens dusens de la transcendance. Illeur incombe d’être, selon la formule d’Isaïe, « une lumière pour les nations ». Mendelssohn fait tout pour diminuer la dimension « scandaleuse » de l’élection en montrant qu’elle n’offre aucune voie privilégiée vers le salut, ce qui explique le caractère non prosélyte du judaïsme. Mendelssohn emprunte la notion de salut universel à Maïmonide qui formalisa les « sept commandements des descendants de Noé » grâce auxquels tout humain obtient le salut éternel. Deux codes coexistent bien dans la Tora, l’un destiné aux Juifs (les 613 commandements) et l’autre à toute l’humanité post diluvienne . Mais, comme l’explique Schonfeld, Mendelssohn rompt en réalité avec Maïmonide à qui il fait pourtant cet emprunt décisif. Car selon le théologien médiéval le salut n’est accordé à un individu respectueux du code universel que s’il en reconnaît l’origine révélée par Dieu via la Tora des Hébreux. Sur ce point, Mendelssohn rompt avec la tradition dans un geste assumé qu’impose l’entrée dans la mo-dernité. L’essai de Schonfeld, érudit mais accessible, permet de saisir clairement la démarche du philosophe et son rapport de fidélité et de rupture avec la tradition rabbinique. L’œuvre de Mendelssohn veut prouver– et ce faisant fonder ce quesera la pensée juive moderne – qu’un Juif des Lumières est possible. Schonfeld fait la démonstration que ceci ne peut se faire qu’au prix d’une lecture très personnelle des textes classiques.
Publié le 13/08/2019