David Djian, ancien commissaire général des E.I., vit en Israël (Ra’anana) depuis trente ans. Il travaille aujourd’hui dans l’organisation d’événements familiaux en Israël.
David Djian, pourquoi avez-vous décidé de vous installer en Israël à l’âge de 21 ans ?
C’était le prolongement naturel de mon engagement aux E.I. où j’ai compris et construit mon identité juive. Il m’a semblé que, pour parfaire cette identité, la suite logique de mon engagement pour les valeurs auxquelles je crois et qui font ce que je suis était de monter en Israël et de contribuer à poursuivre l’histoire du peuple juif sur cette terre. Après l’Algérie de mes grands-parents, la France de mes parents, la poursuite de cette destinée me semblait être en Israël. Mes origines sont à la fois ashkénazes et séfarades, l’identité juive était forte dans ma famille, très liée au souvenir de la Shoah d’un côté, davantage centrée sur les pratiques traditionnelles de l’autre. Ma propre identité juive n’est pas religieuse mais procède d’un sentiment d’appartenance à un peuple et à une historie dont je crois qu’elle peut se prolonger ici, en Israël, après deux mille ans de galout. L’alya francophone, ces dernières années, est surtout motivée par la dimension religieuse de l’identité. C’était moins le cas quand je suis venu m’installer ici et, pour ma part, la démarche n’était absolument pas religieuse.
Pensez-vous que le judaïsme de diaspora a un avenir et un rôle ?
Bien sûr. Chaque communauté de diaspora a quelque chose de particulier à apporter au peuple juif et le judaïsme s’enrichit de la pluralité de ces contributions, elles-mêmes nourries des différentes cultures au sein desquelles vivent les Juifs de diaspora. Herzl lui-même n’a jamais parlé d’un État où tous les Juifs devraient immigrer. Seule compte la possibilité de pouvoir vivre pleinement son identité juive là où on se trouve et je conçois sans gêne que les différentes expressions de l’identité juive en Israël ne conviennent pas à tout le monde.
Vos enfants sont israéliens et fréquentent le groupe local des E.I. d’Israël, ce qui leur permet, tous les étés, de participer à des camps scouts avec des jeunes Juifs français. Est-ce une façon pour vous de maintenir un lien avec le judaïsme français ?
Dans mon esprit, au début, c’était surtout pour permettre à mes enfants de développer une double culture et de pratiquer le français. Mais, avec le temps, j’ai compris à quel point il était également important de leur permettre de découvrir un autre judaïsme que celui qui se vit en Israël. Bien entendu, eux apportent en retour à leurs camarades français une vision israélienne, et tout le monde en sort enrichi.
Aujourd’hui, pour des raisons politiques, le judaïsme israélien a tendance à devenir uniforme et il est essentiel pour les Israéliens – qui n’ont pas le monopole du judaïsme – d'accepter d'intégrer ces diverses conceptions et de pouvoir se confronter à d’autres expressions de cette identité.
Après l’assassinat de Yitzhaz Rabin, il y a eu une certaine volonté de la part de Juifs non religieux de se réapproprier les textes, de les étudier, de montrer que cette tradition n’était pas l’apanage des seules personnes pratiquantes. Mais cela n’a pas été suffisant et, globalement, les Israéliens non religieux semblent se sentir moins concernés par cette identite juive. En Israël, il faut d’urgence refuser l'idée que l'identité juive soit prise en otage par des partis politiques religieux ou certaines idéologies nationalistes. Il est important que cette identité juive redevienne la base du vivre ensemble en Israël : les valeurs juives doivent être mises au service de la cohésion et non source de fracture de la societé israélienne. En cela, la diaspora, là où l’identité juive peut être plurielle, offre un précieux modèle pour les Israéliens.
La diaspora a donc un rôle à jouer en permettant la réflexion et l'éclosion d'un judaïsme moderne, ouvert, pluraliste. La diaspora témoigne du fait que l’identité juive n’est pas qu’une identité nationale et qu’elle peut être plurielle et pas seulement religieuse. Je dis cela en tant que Juif sioniste qui considère qu’il existe d’autres façons de vivre son judaïsme que par la pratique, ce qui n’est plus évident pour tous les Israéliens.
Si je m’implique au sein du groupe local des E.I. en Israël, c’est d’ailleurs parce que je suis attaché au modèle E.I. de pluralisme et de « minimum commun » dont j’aime à croire qu’il pourrait inspirer la société israélienne. Ce modèle issu du judaïsme français considère que les valeurs juives ne sont pas réservées à un parti ou à un groupe donné et qu’elles peuvent s’exprimer de mille façons sans exclusivité. Sans une telle vigilance, Israël pourrait devenir une théocratie, ce qui n’était certainement pas le sens du projet de ses fondateurs.
Les groupes E.I., en France, essaient de mettre en œuvre le pluralisme dont vous parlez. Est-ce le cas en Israël au sein du groupe local Ron Arad ?
Absolument, et mes enfants découvrent différentes façons de vivre leur judaïsme. La possibilité de côtoyer véritablement – en partageant concrètement des expériences communes – des personnes ayant une identité juive différente de la leur est une chose rare en Israël et nous sommes redevables, dans le cas du groupe E.I. israélien, d’un modèle pluraliste diasporique. Parce que l’éducation nationale israélienne sépare religieux et non religieux, mes enfants n’auraient pas eu, sans le groupe local d'Israël, la possibilité de côtoyer d'autres jeunes vivant un judaïsme différent. En tant que parent, je me réjouis du fait que mes enfants puissent ainsi nourrir et construire leur identité juive d’une façon plus large.
La société israélienne est-elle donc si fragmentée ?
Oui, elle l’est et cela s’accentue de jour en jour, notamment entre religieux et non-religieux. Et, je vous l’ai dit, le judaïsme français peut offrir un précieux modèle de pluralisme, à condition qu’il ne se polarise pas à son tour. Or j’ai l’impression qu’en France aussi les Juifs ont tendance à se constituer en groupes de plus en plus étanches. Mais je ne vis plus en France et ce serait plutôt à vous de me dire ce qu’il en est. Quoi qu’il en soit, le judaïsme français que j’ai connu avant mon alya, surtout au sein du pluralisme E.I., offre un exemple de vivre ensemble dont je rêve pour la société israélienne.
Quelle forme cela pourrait-il prendre ?
Je songe notamment à une école pluraliste qui existe à Ra’anana, ville où vit un nombre important d’olim venus de France. C’est une école non religieuse mais qui offre un solide programme d’études juives, un peu comme l’École Juive Moderne à Paris. Ce projet répond surtout à une demande de familles non religieuses d’origine française et anglo-saxonne qui refusent cette dychotomie entre religieux et non-religieux et ne veulent pas avoir à choisir un "camp".
Pour autant, je regrette que l'alya française récente ne porte pas en elle ce beau projet du vivre ensemble et contribue au contraire au clivage et aux tensions qui existent dans notre ville entre religieux et non-religieux, preuve qu’il ne suffit pas de venir de France pour incarner un judaïsme pluraliste et ouvert. Ces familles sont au contraire très vite entrées dans « le moule » religieux local. Elles s’organisent souvent en communautés très actives, sur le modèle des communautés françaises, mais qui sont fermées à l'autre (qu'il soit non religieux ou non francophone). Un tel phénomène crée une incompréhension, un manque de dialogue, des tensions et une forme de ghettoïsation des Juifs religieux d’origine française en Israël.
Pouvez-vous nous dire deux mots de votre activité professionnelle ?
Après plus de vingt ans au service de l'éducation et des valeurs juives, j'ai créé une agence d'événementiel, MyIDventure, qui met l'accent sur le sens identitaire des événements que nous organisons (bar/bat-mitsvas, mariages, voyages familiaux, etc.). Ce qui me passionne, c’est de transmettre les valeurs juives, l’histoire et l’actualité d’Israël de façon plurielle, de mettre Israël au cœur des événements familiaux en perpétuant notre histoire commune. Bien entendu, je m'efforce de faire découvrir les différentes dimensions de notre identité juive. Je n'ai pas de kippa sur la tête mais je l'ai dans le cœur. « Bâtisseur d'identité », toujours.
Publié le 23/06/2019