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Le musée du peuple juif

Ecrit par Entretien avec Itamer Kremer - Directeur éducatif de Beth Hatefutsoth, le Musée de la diaspora, aujourd’hui appelé Musée du peuple juif, qui se trouve sur le campus de l’Université de Tel-Aviv.

Itamar Kremer est le directeur éducatif de Beth Hatefutsoth, le Musée de la diaspora, aujourd’hui appelé Musée du peuple juif, qui se trouve sur le campus de l’Université de Tel-Aviv.

Itamar Kremer, quelle est exactement votre mission dans ce musée ?

Notre activité repose sur trois programmes principaux. Le premier est celui des visites éducatives. Nous recevons dans ce cadre près de 200 000 personnes chaque année, et nous espérons doubler ce chiffre à partir de 2021, lorsque la nouvelle exposition permanente sera en place. Nous nous adressons aux jardins d’enfants, proposons des visites scolaires, recevons des groupes de soldats, des instituteurs, professeurs et éducateurs informels en formation, etc. Nous tentons d’enseigner à toutes ces personnes le concept de peuple juif au sens large (jewish peoplehood en anglais, יהודיתlעמיות en hébreu.)

Notre deuxième axe est celui des programmes internationaux. Nous en avons une dizaine qui opèrent dans quarante-deux pays. Le plus connu est celui qui s’intitule « My family story » qui existe depuis vingt-quatre ans. C’est un programme qui permet à des adolescents de raconter l’histoire de leur famille à travers une création artistique. Depuis l’an dernier, il est possible de réaliser des films vidéo. Près de trois mille adolescents y ont participé en 2018. Pour ce programme, nous recevons des stagiaires de onze pays différents et cherchons toujours des stagiaires et des volontaires francophones. Nous avons débuté avec des communautés françaises ou fran-cophones en France, en Belgique et en Israël. Si nous voulons raconter l’histoire du peuple juif dans le monde, il faut aussile faire en français.

Notre troisième axe est celui de l’accueil du public en général. Nous recevons des dizaines de milliers de personnes pour des activités culturelles et familiales tout au long de l’année. Notre mission consiste à créer de nouvelles façons de raconter l’histoire fantastique, passée et présente, du peuple juif afin de renforcer chez tous les Juifs du monde leur sentiment d’appartenance à ce peuple.

Avant, le musée s’appelait « Musée de la diaspora », aujourd’hui il s’appelle « Musée du peuple juif ». De quand date cette modification et pourquoi ce changement ?

En 1958, l’idée de créer un musée du peuple juif vit le jour et on commença à récolter des fonds. Notamment pour l’achat du terrain, qui ne faisait pas partie, à l’époque, de l’Université de Tel-Aviv mais se trouvait à l’endroit d’un ancien village arabe déserté pendant la guerre d’indépendance. Nahum Goldmann s’occupa de cela avec la municipalité de Tel-Aviv, l’université, l’Agence Juive, le Congrès juif mondial et d’autres organisations. En 1961, il écrivit à presque toutes les communautés juives du monde pour expliquer que ce musée sera « le miroir de la vie juive contemporaine à travers le monde ». Cinq ans plus tard, on posa la première pierre. On dut alors choisir entre deux façons de présenter l’offre éducative du musée : l’une proposée par Elie Wiesel, l’autre par le poète Abba Kovner. C’est la seconde qui fut retenue. Kovner disait que les enfants et les jeunes Israéliens connaissent le Tanakh (la Bible) et le Palma’h (les forces paramilitaires juives de la Palestine mandataire), mais pas ce qui s’était passé entre les deux. Cet endroit devait donc être celui où serait enseigné l’entre-deux aux Israéliens. Le 15 mai 1978, le musée ouvrit ses portes et commença à raconter de façon innovante l’histoire du peuple juif et de la vie juive. Mais comme il ne s’adressait quasiment qu’aux Israéliens, on avait l’impression que pour devenir le « Juif parfait » il fallait venir en Israël...

Et cette vision a changé depuis ?

Absolument. Dans les années 2000, il y a eu une première remise en question car le musée était devenu vieux. Ce qui était très novateur en 1978 était devenu totalement obsolète vingt ans plus tard. Avec l’aide d’Ariel Sharon, Premier mi-nistre de l’époque, nous avons lancé le programme de rénovation du musée. En mai 2016, on a également ouvert une nouvelle aile. On a fermé l’exposition permanente en décembre 2017 pour la refondre entièrement. D’ici avril 2021 nous ouvrirons la nouvelle exposition qui racontera trois histoires. Le premier étage racontera l’impact des Juifs dans le monde à travers le cinéma, la gastronomie, la danse, le théâtre, etc. Le deuxième étage évoquera l’épopée du peuple juif depuis la Bible jusqu’à nos jours. Enfin, le troisième étage sera consacré à la notion de pacte. Celui passé avec Dieu, avec Israël et entre nous.

Ce troisième étage est moins évident à imaginer, pouvez-vous préciser ce qu’il contiendra ? 

Nous présenterons les rituels et les coutumes mais allons surtout essayer de montrer toutes les façons d’être juif, et elles sont multiples. On va parler de valeurs juives, de la vie juive, de la culture juive, de la création juive, des langues juives, comme l’hébreu, le yiddish, le ladino... Et encore plus de vingt-six autres dialectes. Nous évoquerons Israël ettoutes les raisons de penser que ce n’est pas un endroit ordinaire, et cela pas seulement d’un point de vue sioniste. Il sera également question de la mémoire juive. On va donc tenter de traiter les cinq ou six domaines qui font l’identité juive, mais sans jamais dire : « Voilà la bonne façon d’être juif ».

L’idée d’une diaspora qui ne serait qu’un épiphénomène de l’histoire juive qui se poursuit essentiellement en Israël, c’est fini ?

Oui.

Vous pensez que le peuple juif a besoin de la diaspora ? 

La question ne se pose pas en ces termes. Le peuple juif a besoin de tous. Nous faisons partie de la même communauté, entendue au sens large. Deux questions importantes se posent à nous : Quel est le sens d’une existence juive ? Et qu’est-ce qui nous unit ? Il n’y a pas d’antagonisme Israël/diaspora, pas plus qu’entre Ouest et Est. On parle ici d’un seul et même peuple, de gens qui viennent de la même famille. S’il existe un dialogue fort entre les communautés du monde entier, ce peuple sera plus fort. Si on juge les autres sans être inclusif et pluraliste, si on hiérarchise les différentes façons d’être juif, comme cela arrive encore trop souvent, nous allonsnous éloigner les uns des autres et ce n’est bon pour personne. Notez au passage que nous n’utilisons plus non plus le terme de « diaspora » mais parlons de « communautés juives à travers le monde ».

Vous parlez d’unité, en somme

Exactement. Mais pas d’uniformité.

Vous allez continuer, cependant, de recevoir un public essentiellement israélien ?

On attend un demi-million de personnes par an à partir du moment où la nouvelle exposition sera mise en place. Il y aura bien sûr beaucoup d’Israéliens, mais aussi des Juifs du monde entier et des touristes non juifs. Des Chinois, des évangélistes. Des curieux. Nous avons une histoire unique qui intéresse les gens. Et nous la racontons d’une manière unique. Le slogan du musée c’est : « You’re part of the story », « Vous faites partie de l’histoire », ce qui veut bien dire que l’histoire n’est pas complète sans toutes les petites histoires qu’elle englobe. C’est pour cela que nous aimons tant les programmes internationaux.

L’identité juive ne se confond donc pas avec une identité nationale ? 

Elle peut l’être. C’est ce qui est beau dans le peuple juif. Je ne suis pas là pour décider ce que c’est pour vous d’être juif. Je dois juste prévoir une plateforme où chacun se sent bien avec ses propres choix. Si quelqu’un vient et dit : « Je suis juif et je suis fier d’être israélien », très bien. Si quelqu’un d’autre dit : « Je déteste Israël, mais je suis juif par mes tra-ditions et mon histoire », très bien aussi. L’endroit où ces deux personnes peuvent se rencontrer et discuter de leur choix et de leur identité, commune ou non, c’est au musée. Nous sommes des ambassadeurs du peuple juif et la vitrine des communautés juives du monde. Parfois, des gens viennent me voir et me disent que c’est le seul endroit en Israël où ils se sentent vraiment chez eux.

Quelle part allez-vous réserver à l’antisémitisme et à la période de la Shoah ?

Nous avons changé la façon d’aborder ce phénomène. Le but du musée n’est pas de faire Oy vé ! mais bien de dire Hallelujah ! Ce qui signifie que nous ne voulons pas nous concentrer sur les catastrophes mais plutôt sur toutes les choses magnifiques que le peuple juif a contribué à offrir à l’humanité. Les textes, les inventions, le chabbat, le calendrier, les rituels, etc.

Tout le monde n’aime pas aller au musée. Les jeunes, notamment, n’y vont pas spontanément. Comment les faire venir ?

Je ne suis pas d’accord. Quel que soit leur âge, les hommes sont en quête de sens, de valeurs, d’expériences à la fois personnelles et communautaires. Vous avez vu la section sur « l’humour juif à travers le temps », ou celle consacrée aux héros. Elles rassemblent des générations très différentes, des personnes venant de pays différents, etc. Le département création du musée a toujours en tête d’aider les gens à se retrouver et à raconter leur propre histoire. Quand les communautés à travers le monde seront embarquées dans ce voyage avec nous, les gens viendront du monde entier pour se retrouver ici. Je constate chaque jour quelque chose de très fort, ici, à Beth Hatefutsoth : quand on aime cet endroit, on y revient.

Publié le 02/09/2019


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