Natan Sharansky est né en Ukraine. Il fut un célèbre opposant anticommuniste et passa neuf années au goulag. Libéré en 1986, il immigra en Israël et commença une carrière politique. Il a présidé l’Agence Juive et a été plusieurs fois ministre.
Considérez-vous qu’il soit possible de vivre pleinement son identité juive en diaspora ou pensez-vous que la place de tous les Juifs du monde est en Israël ?
Le caractère intégral de la vie juive qu’on trouve en Israël n’existe nulle part ailleurs. « Peuple », « tradition » et vie nationale sont des dimensions conjuguées, ici, où l’on peut vivre au rythme du calendrier juif et de ses fêtes. Il n’y apas de conflit entre la vie juive et la vie citoyenne. Il n’en reste pas moins que je respecte et comprends tout à fait qu’on ait des attaches familiales et culturelles en diaspora et c’est pourquoi la décision d’immigrer en Israël est une question personnelle et si une famille décide de vivre ailleurs qu’en Israël, c’est légitime. Mais, encore une fois, qui veut être impliqué de façon concrète et influente pour notre futur commun, c’est en Israël qu’il peut le faire de la meilleure façon.
Le salut intellectuel du judaïsme ne réside-t-il pas dans une double polarité, un judaïsme israélien et un judaïsme de diaspora, en dialogue fécond ?
Tout d’abord, je vous redis que l’avenir du peuple juif est lié à ce qui se passe et se passera en Israël, qui a reçu une sorte de « mandat » de la part de l’ensemble du peuple juif en tant que « maison de tous les Juifs », ce qui implique de sa part de se soucier de toutes les formes de judaïsme. C’est pourquoi le dialogue entre Israël et les communautés de diaspora est fondamental et n’est sans doute pas suffisant à l’heure actuelle.
La diaspora peut-elle jouer un rôle positif dans la destinée du peuple juif autre que celui de « réservoir » d’immigrants pour l’État d’Israël ?
Le peuple juif est semblable à une famille dont chaque membre a un rôle particulier à jouer. Israël ne doit en aucun cas regarder la diaspora comme un « réservoir d’immigrants ». Elle a une valeur intrinsèque que doivent recon-naître les autres « membres de la famille ». Il y a eu des cas d’urgence où la vie des communautés juives était en danger et où l’alya s’est imposée. Mais, en dehors de ces cas, je suis contre le « sionisme forcé ».
En même temps, le risque d’assimilation est grand en
diaspora et c’est souvent
grâce au lien maintenu avec
Israël qu’on lutte contre
cette assimilation (comme
avec le programme Taglit qui permet à de très nombreux jeunes, Américains notamment, de préserver leur identité juive).
La relation Israël-diaspora n’est pas symétrique. Notre avenir commun est ici, c’est le centre et l’avenir de la vie juive. Il est erroné d’imaginer que c’est la même chose de vivre son judaïsme en France ou en Israël. Il n’en reste pas moins que chacun peut contribuer à sa façon et de là où il est, au destin du peuple juif.
De ce point de vue, le rôle de l’Agence Juive, que vous avez longtemps présidée, a-t-il évolué au cours du temps ?
La mission de l’Agence Juive fut et demeure de promouvoir l’alya des Juifs du monde entier. Mais chacun étant libre de choisir ou non d’immigrer, le but ultime de son action est de préserver l’identité juive : l’alya est un moyen au service de cette fin et non l’inverse. J’ai contribué à faire en sorte que tous les délégués de l’Agence Juive, qu’ils travaillent au service de l’alya, de l’éducation formelle ou informelle, etc., apprennent à envisager leur mission dans ce sens pour aider les Juifs à vivre plus pleinement leur identité juive où qu’ils se trouvent, qu’ils décident ou non d’immigrer en Israël. Il convient d’aider tous les membres de cette « famille » de façon inconditionnelle.
Publié le 02/09/2019