Hors d’Israël point de salut ? Il ne s’agit pas ici du judaïsme en général ni du salut au sens religieux. On sait bien que, selon la pensée juive, le salut éternel est assuré à tout être humain se comportant dignement, raison pour laquelle le judaïsme ne fait pas de prosélytisme. La question que nous posons dans ce numéro concerne l’État d’Israël dont les dirigeants envisagent souvent et essentiellement les Juifs de diaspora comme des immigrants potentiels. Et même lorsque la position est plus nuancée , beaucoup continuent à considérer la diaspora comme déficitaire quant à la possibilité d’y cultiver pleinement son identité juive, et l’honnêteté nous oblige à reconnaître une certaine validité de cette position, s’appuyant à la fois sur des éléments traditionnels comme sur certaines raisons très pratiques. Mais des questions se posent : peut-on en rester à une vision aussi binaire et assez peu subtile de l’existence des Juifs de diaspora ? La réalité israélienne ne renfermant pas totalement l’existence juive, comment penser dans ce monde inédit pour le monde juif (du fait de la Shoah et de la création de l’État d’Israël) les relations entre Israël et la diaspora ?
Président d’un mouvement de jeunesse se considérant comme « sioniste mais non haloutsique », je me reconnais pleinement dans la proposition d’Avraham Infeld invitant chacun à cultiver activement son identité juive, la citoyenneté israélienne n’étant qu’une option parmi d’autres.
À rebours de la vision classique, nous en appelons à une nouvelle conception de la diaspora. Le judaïsme (y compris le judaïsme israélien) a tout à gagner dans un dialogue fécond entre Israël et la diaspora, cette dernière devant jouer un rôle positif en maintenant, notamment, quelque chose du nomadisme abrahamique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on croise partout des Israéliens lorsqu’on voyage. Comme si demeurait, malgré l’existence d’un État juif, une certaine appétence juive pour l’être-en-chemin. Depuis les temps bibliques, d’ailleurs, la fête des cabanes (Soukot) nous invite chaque année (y compris ceux qui résident en Terre sainte) à quitter nos demeures et nos habitudes pour réintroduire du jeu dans notre identité.
Sans minimiser le moins du monde l’importance majeure qu’a constituée la création d’un État juif et le rôle central qu’il joue et jouera de plus en plus pour le peuple juif, il nous semble fondamental de souligner l’intérêt d’une double polarité, comme jadis Jérusalem et Babylone qui éclairaient conjointement le monde juif. Peut-être est-ce même la condition du maintien du message prophétique et universel dont notre tradition est porteuse et dont certains se demandent si l’État d’Israël n’en oublie pas le sens .
L’idée selon laquelle la diaspora pourrait jouer un rôle positif existe déjà dans la tradition mais il nous appartient d’esquisser les termes d’une collaboration inédite.
Publié le 05/06/2019