La manne en chocolat
ÉLIAHOU HILLEL
Le peuple d’Israël, mécontent mais lucide, avait choisi d’obtempérer et de suivre Moïse et son frère Aaron. La marche dans le désert avait commencé. Par dizaines de milliers, les Hébreux avaient quitté l’Égypte puis la mer des Joncs pour aller en direction du désert de Shour dans la partie nord du Sinaï. Les ennuis commencèrent quand les fuyards atteignirent Mara. L’eau y était, comme son nom l’indique, si amère, que les Israélites s’emportèrent : « En Égypte, notre terre bénie, nous avions de l’eau bien fraîche à profusion. Et ici, rien ! Mais qu’allons-nous boire ?
Comme il le faisait toujours, Moïse s’isola et s’adressa au Seigneur : « Que faire avec ce peuple toujours mécontent ? » « Pas de problème, Moïse. Va prendre un morceau de l’arbre que je vais t’indiquer et jette-le dans la mare amère. » Aussitôt dit, aussitôt fait et l’eau de Mara, miraculeusement, devint potable. On reprit la marche pénible pour arriver à Élim puis au désert de Sin. Les protestataires reprirent leurs récriminations contre Moïse et son frère : « Ah que la viande était bonne au pays d’Égypte ! Ici, c’est la disette ! On aurait mieux fait de ne pas vous suivre ! » Moïse, encore une fois, parvint, grâce au Seigneur, à sauver la situation et des poulets rôtis tombèrent du ciel à foison. Mais le peuple à la nuque raide et à l’estomac vide et avide en demandait toujours plus : « On veut du nouveau ! On veut du nouveau ! » Le Seigneur, toujours à l’écoute de Moïse, le rassura : « Je vais faire pleuvoir du pain sur vous ! » Dès le lendemain matin de la promesse divine, une fine couche de pâte recouvrait la terre autour du camp des Hébreux. Étrange, étrange. « Man Hou ? » gronda le peuple. « Quèsaco ? » Ce n’était pas très goûteux, mais on fit avec.
Par nécessité, on mangea le pain de misère. Toutefois, très rapidement, le grondement reprit : « On a faim, on veut du nouveau ! »
« Laisse-moi faire, Moïse, j’ai une idée géniale. » Le Seigneur était, face aux Israélites insatisfaits, d’une patience d’ange. Et, de fait, peu après, des billes de couleur marron tombèrent du ciel, en rafale. Le peuple se précipita sur cette manne étrange. C’était sucré et d’un goût fort agréable. On l’appela immédiatement « chocolat ». Les Hébreux s’empiffraient du matin au soir. On vit même des mères se passer du chocolat sur les mamelons avant d’allaiter leurs bébés.
Le peuple, lui, en voulait toujours plus. On criait, on suppliait. Bientôt, ce furent de gros carrés qui tombèrent du ciel. Puis des tablettes. Le désert devenait Byzance. Une véritable Suisse ! Mais tout bonheur a son revers. Très vite, les indigestions se multiplièrent, les vomissements et les fièvres aussi. On dénombra de nombreuses victimes, surtout chez les nourrissons. Moïse et Aaron réunirent un conseil des Sages. La décision fut rapide à prendre : désormais, le chocolat, à l’instar du porc, serait une denrée prohibée pour les Juifs, une abomination. Peu à peu, les Hébreux reprirent la route, en direction de la Terre promise dans l’espoir d’y bâtir un nouvel État. Depuis, les Hébreux, puis plus tard les Juifs, ne mangent jamais de chocolat. Mais leurs ancêtres avaient eu bien chaud (colat).
Publié le 04/06/2019