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Les Juifs du Japon

Ecrit par Jean-Pierre Allali

Sait-on qu’il y a au Japon une petite communauté juive ? Elle avait fait la une des journaux juifs en 1995, lors du tremblement de terre de Kobe, car la synagogue locale avait alors été endommagée. Il y a entre les Japonais et les Juifs une étrange histoire faite de ressemblances étonnantes, de jalousies infondées et d’admiration sincère. Sans oublier les Makuyas, amants non Juifs de Sion, qui vouent une véritable passion à l’État juif retrouvé, et la figure attachante de Sempo Sugihara, juste parmi les nations. Pleins feux sur les Juifs au pays du Soleil-Levant.


Israël et le Japon entretiennent depuis longtemps d'excellentes relations. On a pu s'en rendre compte lors de la catastrophe engendrée par le tsunami, le tremblement de terre et la détérioration de la centrale atomique de Fukushima en mars 2011. Parmi les équipes internationales de secours, l’une des premières arrivées aura été la délégation médicale israélienne, et les autorités japonaises avaient alors tenu à remercier chaleureusement Israël pour son aide. Récemment, en mai 2018, après avoir participé à un sommet quadripartite – Japon, Jordanie, Israël et Autorité palestinienne –, le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a foulé pour la deuxième fois la terre d’Israël. Il convient de souligner que les investissements nippons en Israël dans le domaine technologique ont augmenté de 20% ces trois dernières années.

Mais sait-on qu’il y a au Japon une petite communauté juive ? Contrairement à l’Europe ou aux pays arabo-musulmans, l’implantation juive au Japon est relativement récente. Bien que l’on suppose que, dès le XVe siècle, des marins juifs portugais et hollandais ont pu s’installer à Nagasaki, on considère généralement que c’est vers 1850 que des Juifs ont commencé à séjourner de manière pérenne dans le pays. Il s’agissait de marchands qui venaient essentiellement d’Angleterre, d’Allemagne, de France, d’Inde, de Russie et de Syrie. En 1862, Raphaël Schoyer, un Juif américain vivant à Yokohama, publie, en langue anglaise, le premier journal juif du Japon, The Japan Express. Et c’est en 1895 qu’une première synagogue, Beth Israël, est érigée à Nagasaki. Miraculeusement, cette synagogue a été épargnée par l’explosion nucléaire du 9 août 1945. Elle a, depuis, été démolie. Dans cette ville de Nagasaki, on trouve, au cimetière international Gaijin Mochi, un carré juif qui témoigne encore de cette présence.

Paradoxalement, lorsque le Japon a été, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’allié de l’Allemagne hitlérienne, il n’a pas suivi la même politique à l’égard des Juifs. Des dignitaires japonais imaginèrent même un projet, le « plan Fugu », destiné à installer les Juifs fuyant l’Europe, la Russie et le monde séfarade en Mandchourie. En Lituanie, le consul du Japon, Sempo Sugihara, n’hésita pas, malgré les injonctions contraires de sa hiérarchie, à délivrer des milliers de visas à des Juifs en détresse, sauvant de la mort toute la yeshiva de Mir. Sugihara a été fait Juste parmi les nations par l’Institut Yad Vashem. Après la guerre, son fils Nabuki a étudié en Israël. Il est aujourd’hui diamantaire à Anvers. Autre exemple, celui de Mitsugi Shibata, consul japonais à Shanghai, qui avertit à temps les 16 000 Juifs de la ville de la menace d’une arrestation de la Gestapo. Le professeur Kotsuji Setsuzo, qui se convertit par la suite au judaïsme, obtint des autorités locales, moyennant d’énormes pots-de-vin, des prolongations de visas pour les Juifs réfugiés afin de demeurer à Kobe jusqu’à ce qu’ils trouvent une terre d’accueil.

Deux mille Juifs vivent aujourd’hui au Japon, essentiellement à Tokyo où la synagogue Beth David, construite il y a une quarantaine d’années dans le quartier de Shibuya, se complète par un centre communautaire, un restaurant, une piscine et une bibliothèque. À Kobe, on a construit une synagogue orthodoxe. Les Juifs du Japon sont essentiellement des expatriés, notamment des Américains et des Israéliens auxquels s’ajoutent de nombreux Japonais convertis.

L’attrait des Japonais pour le judaïsme n’a d’égal que l’étonnante forme d’antisémitisme qui fleurit au Japon. L’attrait vient probablement du fait que des théories circulent selon lesquelles les Japonais descendent de l’une des dix tribus perdues. Les partisans de cette théorie considèrent que la statue de Miroku Bosatsu de Kyoto, par sa structure, a des origines juives. Dans le temple situé dans les environs, l’inscription sur le fronton « Le puits d’Isara » serait en fait une déformation de : « Le puits d’Israël ». C’est le fameux chasseur de nazis Simon Wiesenthal qui a poussé le plus loin cette recherche de similitudes entre Juifs et Japonais dans son ouvrage La voile de l’espoir , proposant une comparaison très poussée des pratiques juives et shintoïstes. Longtemps, le prince Mikasa, frère de l’ancien empereur, a participé aux sédarim de Pessa’h à Tokyo.

Quant à l’antisémitisme japonais, il est dû pour une grande part à une littérature bon marché qui fleurit depuis quelques années dans le pays, présentant les Juifs comme les maîtres du monde. Les Juifs seraient des martiens qui s’apprêteraient à envahir le Japon pour ramener leurs âmes sur Mars ! Un effet contraire en est ressorti avec l’intérêt croissant des jeunes Japonais pour le judaïsme.

Enfin, comment ne pas évoquer les Makuyas, estimés à environ 50 000, qui, sans être juifs, vénèrent Israël et participent chaque année, par centaines, devant le Kotel de Jérusalem à une grande manifestation de solidarité.

L’étonnante histoire des liens entre Juifs et Japonais continue, en 2019, de s’écrire sous nos yeux.

La synagogue Ohel Shelomo de Kobe

Publié le 17/05/2019


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